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L'ombre,
vous connaissez ce poisson ?
Que
ce soit le cas ou pas, cet article de Jean-Rémy Schleifer (Egalement
publié sur le site Echosmouche) vous en dira plus sur le sujet :
Pleins feux sur l’ombre…
Capricieux,
fantasque, lunatique, déroutant…Et j’en passe… Presque tous les auteurs
qui ont abordé le sujet de l’ombre commun ont utilisé ces adjectifs.
Ses origines,
sa pêche font souvent l’objet de débats passionnés, son
comportement seul fait l’unanimité.
Qui est
ce poisson qui fait encore couler tant d’encre ? D’où vient-il ?
Je vous
ferai grâce de sa description, de ses habitudes, (si on peut parler
d’habitudes chez ce poisson si singulier).Je n’aborderai pas plus la technique
et les méthodes de pêche où tant de théories se
sont émoussées dans le lit des rivières.
L'ombre
commun, Thymallus Thymallus (Linné 1758) n’est pas un salmonidé
contrairement à ce que l’on pense souvent. Il fait partie de l’ordre
des Salmoniformes, plus précisément de la famille des
Thymallidés. Le nom de Thymallus lui vient de l’odeur de thym (Thymus
en latin) qu’aurait sa chair lorsqu’il vient d’être fraîchement
pêché (soit l’ombre a perdu ce parfum délicat, soit notre
odorat n’est plus ce qu’il était car personnellement je n’ai jamais
pu remarquer cette singularité).
Ce nom était
déjà en usage dans l’antiquité. Aelien, un auteur latin
vivant au deuxième siècle avant JC en parlait déjà
dans un traité d’histoire naturelle.
Agassiz,
le fameux naturaliste suisse, (1807-1873) l’avait dénommé Thymallus
vexillifer. Vexillifer signifiant porte étendart, en raison de sa nageoire
dorsale particulièrement développée.Mais c’est sous
la dénomination d’ombre que nous connaissons ce poisson. L‘origine
de ce nom érite également que l’on s’attarde un peu sur elle.
C’est le poète Gallo-romain Ausone qui vivait au quatrième siècle
après JC qui a parlé de l’ombre dans un poème lyrique
intitulé Mosella.
Il y décrit
les charmes de la rivière Moselle. Dans un des vers de ce texte en
latin, il parle de « l’ombre légère qui échappe
aux regards tant sa nage est rapide » Le nom d’ombre lui est resté
jusqu’à ce jour.
Au cours
des siècles, nombreux furent les pêcheurs et les naturalistes
qui parlèrent de Thymallus thymallus : Pierre Belon du Mans (1517-1564),
Rondelet, (1507-1566) qui fut un ami de Rabelais, Lacépède,
Cuvier et Valenciennes, Roule, d’Or Saint Clair, de Boisset et plus près
de nous Macchioni et Gaidy pour ne citer que quelques uns des auteurs français.
Cependant
ce sont deux auteurs étrangers qui nous rapportent des informations
inédites et anecdotiques relatives à l’ombre. Izaak Walton,
un écrivain anglais, dans son ouvrage « Le parfait pêcheur
à la ligne » paru en 1653, écrit les lignes suivantes
: « Les français placent si haut l’ombre qu’ils prétendent
que ce poisson se nourrit d’or ; car ils soutiennent que beaucoup d’ombres
ont été pris dans le fameux fleuve Loire et que l’on a souvent
retiré de leur ventre des grains d’or véritable… » Balivernes
ou légende ? Mais connaissant l’ombre et son goût pour les couleurs
et le clinquant, cette affirmation ne me surprend qu’à moitié.
L’on croira ce que l’on voudra… Combien d’ombres se sont laissés prendre
par des nymphes casques d’or !
Walton rajoute
dans le même texte « qu’il (l’ombre) lui est arrivé de
se laisser prendre à une mouche faite de plumes rouges d’un perroquet,
lequel est un étrange oiseau des pays lointains… »
Un savant
Italien Salviani fit paraître en 1554 un ouvrage intitulé «
L’histoire des animaux aquatiques », il y décrit l’ombre. Outre
sa recommandation à manger l’ombre frit au beurre, il donne la recette
d’un onguent à base de graisse d’ombre.
«
Si l’on met, au mois de mai, de la graisse d’ombre dans un récipient
en verre et qu’on la fasse fondre au soleil, le résidu qui reste dans
le vase passe pour être un remède pour les blessures, et mis
goutte à goutte dans les oreilles, il guérit de la dureté
de l’ouïe.
Heureusement
que ce remède n’est pas rentré dans notre pharmacopée,
car entre le noir cormoran et le pharmacien en blouse blanche notre beau poisson
serait bel et bien menacé de disparition…
Après
avoir disserté sur le nom de l’ombre commun, penchons-nous un peu sur
les mystères de ses origines et de sa distribution.
La répartition
du genre Thymallus est, dans son ensemble, circumpolaire,
c’est à dire que dans l’hémisphère Nord on le trouve
quasiment dans toutes les régions situées de part et d’autre
du cercle polaire. Le genre est représenté par cinq à
six espèces ou sous-espèces. Thymallus thymallus, l’ombre commun
et Thymallus arctis, l’ombre arctique, en sont les principaux représentants.
L’ombre commun est présent des îles Britanniques (Irlande exceptée)
à l’Oural. L’ombre arctique quant à lui est indigène
en Sibérie, dans le nord canadien et en Alaska. L’ombre de Laponie,
bien que vivant au delà du cercle arctique n’est qu’un ombre commun
et non un ombre arctique. Une sous-espèce d’ombre beaucoup plus localisée,
Thymallus arctis baïcalensis, vit dans le lac Baïkal, frayant dans
les affluents de ce fleuve.
Détail
intéressant, dans les régions nordiques on peut trouver l’ombre
dans les estuaires des rivières où il supporte très bien
l’eau saumâtre.
Les origines
de l’ombre ont donné lieu à plusieurs théories, la plus
plausible étant la suivante. Comme la plupart des poissons, il aurait
initialement peuplé les mers arctiques qu’il aurait quitté lors
de la dernière période glaciaire, il y a environ 10.000 ans
pour remonter les fleuves. Peut-être dans la quête d’une température
d’eau plus clémente et d’une nourriture plus abondante.
Selon les
géologues, le profil des mers et plus encore celui des rivières
n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui. La topographie
ainsi que l’intercommunication des réseaux hydrographiques ont considérablement
changé, ce qui peut en partie expliquer l’absence de l’ombre en Irlande.
Malgré
tous les écrits qui lui ont été consacrés, Thymallus
thymallus continuera à être un poisson dont l’existence restera
émaillée de zones d’ombres.
Dernier
détail, rassurant peut-être, l’ombre commun est le salmoniforme
possédant le plus grand nombre de chromosomes (102-104), ainsi il
sera peut-être le dernier à être clôné.
Jean-Rémy
Schleifer février 2001
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